À retenir
- Afin d’optimiser la conception de la liaison Oosterweel et son exécution, Lantis a investi dans plusieurs projets tests ces dix dernières années, le plus spectaculaire étant sans doute le puits d’essai d’une profondeur de 24 mètres.
- L’objectif principal de ce puits d’essai était de cartographier avec davantage de précision les propriétés du sous-sol, en particulier là où celui-ci est composé d’argile de Boom.
- Ce projet a mobilisé une très large palette de systèmes de monitoring : jauges de déformation à fibre optique, piézomètres à pierre poreuse, inclinomètres verticaux et horizontaux et repères de tassement.
- Les campagnes d’essai effectuées en amont ont permis de réduire la facture et d’améliorer la phase de conception. Beaucoup d’interrogations ont de surcroît pu être balayées, ce qui a grandement facilité les phases de conception et d’exécution.
Un système de monitoring dans un puits d’essai pour comprendre le comportement du sol
La liaison Oosterweel constitue le plus grand projet d’infrastructure que la Belgique ait jamais connu. Afin d’éviter les retards et les frais inutiles, Lantis, le maître d’ouvrage, a minutieusement préparé le terrain, entre autres pour la partie des tunnels du Canal. Entre 2013 et 2015, le sous-sol a fait l’objet d’études approfondies et différentes techniques d’exécution ont été expérimentées dans le cadre d’un puits d’essai d’une profondeur de 24 mètres. À cette occasion, une palette particulièrement étoffée de solutions de monitoring a permis de percevoir sous un jour nouveau le comportement imprévisible de l’argile de Boom.
Mieux comprendre le comportement de l’argile de Boom
L’argile de Boom est un sol que l’on retrouve dans toute la zone de la liaison Oosterweel et qui possède des caractéristiques très spécifiques. L’argile de Boom présente ainsi un degré élevé de plasticité et de rigidité, ainsi que la particularité de s’étendre lorsque l’on enlève la terre qui la recouvre. Qui plus est, ce phénomène de gonflement se maintient pendant des décennies, avec pour conséquence que les entrées du tunnel Kennedy (qui a été construit dans les années soixante) continuent de s’élever à concurrence de 1 à 2 mm par an. Enfin, l’argile de Boom n’est pas perméable. « Cette couche de sol peut par conséquent faire office en soi d’écran étanche », souligne Benoit Janssens, responsable du département de génie civil et de géotechnique chez Lantis.
« Cela permet bien évidemment de réaliser d’énormes économies lorsque l’on doit aménager des tunnels ou construire des ponts. Malheureusement, les propriétés mécaniques de l’argile de Boom restent difficiles à définir, malgré de nombreuses années de recherche. Étant donné la quasi-omniprésence de ce sol dans la zone de l’Oosterweel, nous aspirions à mieux comprendre son comportement avant le début des travaux afin d’optimiser le processus de construction, ce qui aurait un impact positif sur le budget et la durée de vie des ouvrages. »
Tests dans des conditions réelles
Pour obtenir les connaissances souhaitées, de simples recherches en laboratoire n’étaient pas suffisantes. C’est pourquoi Lantis a décidé d’effectuer une simulation de la construction des tunnels du Canal dans des conditions réelles. « Nous savions que c’est du côté du Noordkasteel d’Anvers que l’argile de Boom est située au niveau le moins profond dans le sous-sol », poursuit Benoit Janssens. « Nous avons dès lors construit à cet endroit un puits d’essai d’une profondeur de 24 mètres, jusqu’au sommet de l’argile de Boom. Nous avons également testé quelques techniques d’exécution, comme le fonçage de palplanches d’une longueur de 30 mètres – dont 6 en contact avec de l’argile de Boom, dès lors – et le creusement de parois moulées dans du remblai »
Un gonflement passé sous la loupe
L’un des principaux objectifs de toute la campagne test consistait à mieux comprendre pourquoi l’argile de Boom « gonfle ». « Lorsque les couches supérieures seront retirées, l’argile de Boom a tendance à enfler », explique Jan Couck, ingénieur géotechnique au sein de la section de géotechnique du département de la mobilité et des travaux publics de l’Autorité flamande. « Ce n’est pas un phénomène exceptionnel en soi mais avec l’argile de Boom, le gonflement peut atteindre plusieurs centimètres et se manifester pendant des décennies. Qui plus est, les experts ne sont pas du tout d’accord entre eux quant à la durée de ce phénomène et la manière dont il se produit. Avec ce type de sol, il y a un risque réel de déformation différentielle des tunnels. C’est pourquoi nous voulions avoir une idée correcte des forces que l’argile de Boom exercerait sur l’infrastructure, afin d’en tenir compte lors de la phase de conception et d’éviter la formation de fissures dans la structure. »
Un travail d’équipe
Afin d’obtenir cette photographie précise, Lantis a mis sur pied une campagne d’essai ambitieuse, sur les recommandations du bureau d’études RoTS. Un groupe de projet a pour ce faire été constitué avec la section de géotechnique du département de la mobilité et des travaux publics de l’Autorité flamande, le laboratoire Géotechnique et Monitoring de Buildwise et l’entreprise de construction Denys. « La présence de la section de géotechnique au sein de ce groupe de projet coulait de source étant donné que c’est elle qui supervise le processus de conception de A à Z et qu’elle sera également impliquée, plus tard, dans le processus de suivi de l’infrastructure », raconte Benoit Janssens. « Quant au Buildwise, il possédait déjà une grande expérience en matière de monitoring basé sur la technologie de la fibre optique, y compris dans des conditions difficiles. Qui plus est, le Centre disposait déjà, en interne, de l’expertise nécessaire afin d’analyser et d’interpréter les résultats des mesures. Le principal défi consistait dès lors à trouver un entrepreneur qui soit disposé à tenir compte des appareils de mesures présents. Ceux-ci seraient en effet installés pour la plupart avant le début des travaux de construction étant donné que l’argile de Boom commence à bouger à partir du moment où on touche à la couche de sol supérieure. Il était bien évidemment essentiel que l’entrepreneur fasse preuve de souplesse, afin d’éviter que les appareils soient endommagés, et il fallait en outre qu’il soit apte et enclin à appréhender les changements avec flexibilité. Un projet d’essai n’est en effet pas une certitude mathématique, bien au contraire car nous savions à l’avance que ce serait un trajet d’apprentissage agrémenté de réussites comme d’échecs. »
Un trajet d’apprentissage intéressant
Chez Denys, on a été immédiatement convaincu de tout l’intérêt du puits d’essai, et l’ingénieur géotechnique Kristof Van Royen nous explique pourquoi. « Nous nous efforçons toujours d’anticiper les tendances de demain. Il y a dix ans, il était clair, déjà, que la technologie était vouée à prendre une place de plus en plus importante dans notre domaine d’activité. Les attentes, surtout en matière de monitoring, étaient élevées – et le sont toujours. Ce genre de solutions ne fait toutefois pas partie de notre cœur de métier, et l’on ne peut pas utiliser ce qu’on ne connaît pas. Ce puits d’essai constituait dès lors, pour nous, une opportunité rêvée de découvrir tout le potentiel des outils de mesures. Nous n’avons pas participé à ce projet pour rien, mais en avons au contraire retiré beaucoup de connaissances et de motivation à sortir de notre zone de confort. »
Une large palette de capteurs
Lantis a donné au groupe de projet la liberté d’appliquer toutes les techniques de monitoring. « Tous les instruments de mesure disponibles ont été utilisés : des inclinomètres horizontaux et verticaux, aux capteurs de déformation à fibre optique pour mesurer les déformations des palplanches et les efforts dans les étançons, en passant par des repères de tassement classiques, différents types de piézomètres à pierre poreuse ou encore des scanners laser 3D. Nous avons par ailleurs délibérément choisi de mesurer une large palette de paramètres avec plusieurs types d’instruments et de capteurs, d’une part pour identifier les possibilités de la technologie et le fonctionnement/la fiabilité des appareils lorsqu’ils sont utilisés dans des conditions ardues, et d’autre part afin de prévenir d’éventuels dégâts aux instruments. »
De nouvelles connaissances dans un large spectre de domaines
Outre le puits d’essai, d’autres campagnes d’essai ont été organisées. L’entrepreneur a ainsi vérifié au moyen d’un essai de fonçage comment des palplanches et des pieux tubulaires en acier pouvaient être enfoncés profondément dans le sol et quelles nuisances sonores et vibratoires seraient ainsi générées. « Ici aussi, les outils de monitoring étaient essentiels pour obtenir des réponses », déclare Benoit Janssens. « Et on peut dire la même chose à propos d’une campagne test spécifiquement destinée à étudier la capacité de portance de parois moulées dans l’argile de Boom. » « Le projet Oosterweel est d’une ampleur et d’une complexité telles que nous savions à l’avance que nous nous heurterions aux limites des connaissances techniques », poursuit Jan Couck. « C’est pourquoi ces campagnes d’essai revêtaient tellement d’importance : nous voulions réduire l’incertitude à propos des paramètres liés au sol et expérimenter par nous-mêmes la faisabilité de certaines techniques d’exécution avant d’attribuer le marché aux entrepreneurs concernés. »
Un investissement rentable
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le puits d’essai a généré une énorme quantité de données. « Traiter et interpréter ce flux gigantesque d’informations n’a pas été une mince affaire », souligne Jan Couck. « Mais notre groupe de projet est malgré tout parvenu à tirer des enseignements intéressants de ce projet. » « Nous avons pu caractériser de manière plus précise le gonflement de l’argile de Boom et les caractéristiques générales se sont révélées meilleures, à court terme, que les prévisions basées sur les tests en laboratoire. Il est apparu également que les couches de sable supérieures offraient une plus grande rigidité qu’attendu.
Les modèles de conception numériques ont pu être calibrés à l’aune des mesures effectuées, ce qui a permis d’affiner les paramètres de conception. Avec, pour conséquence, de réduire la lourdeur et le coût des constructions », détaille Benoit Janssens. « Étant donné que l’argile de Boom est omniprésente en Flandre, les résultats seront utiles pour nombre d’autres projets impliquant l’Autorité flamande », poursuit Jan Couck. « Les frais exposés et les efforts consentis dans le cadre de ce projet généreront ainsi un retour sur investissement pendant de nombreuses années. » « Il ne fait effectivement aucun doute que nous rentabiliserons le temps et l’argent que nous avons investis dans le puits d’essai », confirme Benoit Janssens. « Ce test nous a permis de nous rendre compte qu’une autre méthode de construction, beaucoup moins chère, était possible pour les tunnels. Après coup, nous avons également constaté que grâce à la clarté des paramètres du sol, il y avait moins de discussions avec les entrepreneurs. Enfin, optimiser les paramètres de conception et les techniques d’exécution sera également bénéfique à la qualité des ouvrages. »
Le puits d’essai, une expérience pionnière
Aujourd’hui, beaucoup de travaux dans le cadre d’Oosterweel sont déjà en phase d’exécution. Mais pour la réception définitive du projet dans son ensemble, il faudra encore attendre plusieurs années. « Pour plusieurs ouvrages, la méthode d’exécution n’a même pas encore été déterminée », indique Benoit Janssens. « Grâce aux expériences positives que nous avons retirées du monitoring dans le puits d’essai, cette solution commence à être utilisée de plus en plus souvent afin de définir les techniques et paramètres de conception appropriés. Tous les membres du groupe de projet sont aujourd’hui animés d’une mentalité Mesurer, c’est savoir. Tout le monde a bien compris que le monitoring est la meilleure manière de réduire les risques et d’optimiser les différents aspects. » « En Belgique, les possibilités qu’offre le monitoring restent trop peu connues, mais le puits d’essai a joué un rôle de pionnier majeur pour faire changer les choses à cet égard. Cet impressionnant projet a été une formidable occasion de mettre en vitrine les possibilités et les avantages du monitoring en général, et des capteurs à fibre optique en particulier », conclut Gust Van Lysebetten, responsable adjoint du laboratoire de géotechnique de Buildwise.
De plus amples informations concernant le monitoring sur base de la technique de la fibre optique peuvent être trouvées sur www.ovmonitoring.be