À retenir
- Dans la volonté d’Infrabel de chercher en permanence des moyens d’optimiser les infrastructures ferroviaires, le monitoring s’avère être un outil intéressant afin d’améliorer la conception et la maintenance.
- Grâce à un monitoring dynamique basé sur des capteurs de déformation à fibres optiques, la KU Leuven est capable de superviser d’une manière compacte et très détaillée la résistance de certaines structures aux vibrations.
- Les modes propres de déformation déterminés au moyen des capteurs de déformation à fibres optiques sont beaucoup plus sensibles aux dommages locaux que les modes propres de déplacement plus classiques déterminés à partir des données fournies par les accéléromètres.
- Des modifications observées au niveau de la résistance aux vibrations peuvent indiquer un endommagement.
Des capteurs à fibres optiques sur des ponts de chemin de fer
En reliant le pont du chemin de fer KW51 à Louvain à un système de monitoring, la section Mécanique de construction de la KU Leuven a réalisé une grande première. Jamais, un système de suivi continu des propriétés dynamiques basé sur des mesures de déformation opérationnelle au moyen de fibres optiques n’avait été installé sur une structure d’une telle taille. Et les résultats de cette expérience sont à ce point positifs qu’un projet similaire a été lancé sur un pont ferroviaire à Renaix.
Cela fait plusieurs décennies déjà que la section Mécanique de construction de la faculté d’ingénierie de la KU Leuven se livre à des recherches en matière de monitoring. Afin de confronter la théorie à la pratique, les chercheurs ont contacté il y a quelques années Infrabel, le gestionnaire et exploitant du réseau ferroviaire belge. « Nous cherchions un pont de chemin de fer que nous pourrions monitorer en permanence avec notre nouvelle technique basée sur des mesures de déformation par fibre optique », contextualise le prof. Edwin Reynders. « Notre objectif était d’analyser le fonctionnement véritable de ce type d’infrastructure et de le confronter à des modèles théoriques. »
« La KU Leuven n’a pas dû déployer des trésors d’imagination pour nous convaincre de participer à ce projet de recherche », déclare Didier Van de Velde, le responsable de la section Civil Engineering d’Infrabel. « Nous cherchons continuellement à optimiser les infrastructures ferroviaires en en améliorant leur conception et/ou en les entretenant plus efficacement. Si de nouvelles techniques peuvent nous aider dans cette tâche, nous les accueillons à bras ouverts. Cependant, nous ne disposons pas nous-mêmes de l’expertise et des effectifs pour nous livrer à ce genre d’expérimentations. C’est pourquoi nous croyons beaucoup aux synergies win-win avec des centres d’expertise. »
Deux types de mesures des vibrations
Ce projet de recherche a permis à Infrabel de découvrir les nombreuses possibilités qui existent en matière de monitoring. Depuis octobre 2018, les vibrations du pont du chemin de fer KW51 à Louvain (l’impressionnant pont bow-string qui surplombe le canal de Louvain, juste en dehors de la ville) sont mesurées de deux manières, comme l’explique le prof. Edwin Reynders : « Nous avons entamé le projet avec un suivi traditionnel de l’accélération et de la déformation dynamique à certains endroits. Nous avons, pour ce faire, utilisé des accéléromètres et des jauges de contrainte. Nous avons toutefois assez vite implémenté des capteurs de déformation par fibre optique qui, combinés à des méthodes hardware et software modernes, permettent de mesurer avec précision les très petites déformations dynamiques opérationnelles en un grand nombre de points de mesure. C’était la première fois qu’une structure d’une telle taille était soumise à un monitoring basé sur cette technique. C’est à partir de là que l’expérience est vraiment devenue intéressante pour nous et pour Infrabel, car nous avons pu identifier dans le détail et avec une grande précision les déformations dynamiques dans le tablier du pont, et en suivre l’évolution dans le temps. »
Des atouts qui sautent aux yeux
Les capteurs mesurent en continu le comportement dynamique de la structure, ce qui a déjà généré une mine d’informations. « Nous disposons désormais d’une vue claire sur l’évolution du pont au fil du temps », explique Didier Van de Velde. « Cela nous permet d’évaluer mieux que jamais l’impact de l’intensité du trafic ferroviaire, du type et du poids de chaque train, des conditions météorologiques, … Nous avons par ailleurs découvert qu’effectuer un travail de monitoring est une manière de préparer le terrain pour la maintenance prédictive. » « Les données brutes relatives aux vibrations mesurées au moyen d’accéléromètres et de fibres optiques permettent d’identifier les fréquences propres à la structure », explique le prof. Edwin Reynders.
« Nous pouvons considérer cela comme les fréquences auxquelles la structure peut entrer en résonance. Les formes de vibrations qui vont de pair avec ces fréquences propres – et que l’on connaît sous le nom de modes propres – sont identifiées de cette manière-là. Si des dommages structurels apparaissent, les fréquences et les modes propres s’en trouveront influencés. Des changements peuvent, par conséquent, indiquer la présence de dommages. Le grand avantage, avec les fibres optiques, c’est que les modes propres de déformation sont beaucoup plus sensibles aux dommages locaux que les modes propres de déplacement plus classiques qui sont déterminés à partir des données des accéléromètres. Un autre atout réside dans la possibilité d’intégrer jus-qu’à vingt capteurs de déformation – Fiber Bragg Gratings (FBG, en abrégé) – dans un même câble en fibre de verre, ce qui permet d’obtenir une photographie détaillée de toute la structure. Si ces capteurs peuvent être reliés à un système d’alarme, cela peut devenir, à terme, un atout important pour Infrabel, qui pourra ainsi réagir aux dommages naissants et, partant, éviter que des pièces se cassent ou que des dommages plus importants soient occasionnés. Les avantages tombent sous le sens : les petites réparations coûtent moins cher et leur impact sur le trafic ferroviaire est plus limité. »
Exploration de la fibre optique
Afin d’explorer davantage les possibilités et les limites du monitoring par fibres optiques, la section Mécanique de Construction de la KU Leuven a lancé, avec le Centre Scientifique et Technique de la Construction (CSTC), le projet VLAIO COOCK ‘Suivi des structures et systèmes à fibre optique’. Ce projet, qui court de 2020 à 2023, a pour objectif principal de faire mieux connaître les capteurs à fibres optiques dans le secteur de la construction et d’y encourager leur utilisation. Cette technologie de mesure peut en effet apporter une grande valeur ajoutée dans plusieurs domaines : développement de produits innovants, contrôle qualité de l’exécution, optimisation de la conception (avec, par exemple, des tests préalables et un suivi à long terme dans le cadre, notamment, de la maintenance prédictive), augmentation de la durée de vie, développement de systèmes d’avertissement précoce…
Projet de suivi intéressant
Dans le cadre de ce projet VLAIO COOCK, la KU Leuven s’est engagée à contrôler la sensibilité aux dommages réels de la technologie de monitoring dynamique qui a été développée au départ de la fibre optique. « Pour les besoins de ce projet, nous avons donc endommagé volontairement une structure existante », explique le prof. Edwin Reynders. « Une nouvelle fois, nous avons pu compter sur la collaboration d’Infrabel et avons également travaillé en concertation avec TUC Rail et le CSTC. Notre choix s’est porté sur un pont ferroviaire enjambant la Nieuwebrugstraat à Renaix, qui sera démoli vers la moitié de l’année 2022 et est hors service depuis quelque temps. En janvier 2022, nous avons utilisé une meule pour occasionner artificiellement de petites fissures dans l’aile supérieure d’une poutre principale. Bien que d’une profondeur limitée, ces fissures ont eu une influence manifeste sur les modes propres de déformations optiques, confirmant ainsi nos simulations et résultats de laboratoire. »
Pour une maintenance plus efficace
Les deux projets constituent une grande source d’inspiration pour Infrabel dans l’optique, surtout, d’une maintenance plus efficace. « Le prof. Edwin Reynders avait déjà mis en avant l’utilité d’un système de monitoring pour éviter que des problèmes prennent des proportions trop importantes », souligne Wendelien Cneut, ingénieure au sein de la section Civil Engineering d’Infrabel. « Nous pensons par ailleurs que le fait de mieux comprendre les risques nous offre une marge de progression, car nous pourrons ainsi consacrer une attention particulière à ces maillons faibles lors de nos contrôles. Nous découvrirons et pourrons réparer plus rapidement les dommages, même sans un monitoring permanent des infrastructures.
Il faut en effet savoir que cette technologie a évidemment un coût, qui fait qu’il est financièrement impossible, aujourd’hui, de placer des capteurs partout.» « Bien que le monitoring ait beaucoup d’avantages à offrir, il est effectivement impossible, à l’heure actuelle, d’appliquer cette technologie partout. En premier lieu en raison de son coût, mais aussi, et peut-être surtout, à cause de sa complexité », poursuit Didier Van de Velde. « Chaque structure est différente et demande d’autres types et quantités de capteurs, qui devront de surcroît être installés au bon endroit. À cela s’ajoute la gigantesque quantité de données qu’il faudra traiter et analyser. Voilà pourquoi Infrabel a délibérément choisi de sous-traiter tout ce qui touche au monitoring à des organisations et centres d’expertise spécialisés. Ensemble, nous évoluerons progressivement vers une situation où la technologie se généralisera. Au vu des résultats des deux cas de test, c’est quasi une certitude à mes yeux ! »
De plus amples informations concernant le monitoring sur base de la technique de la fibre optique peuvent être trouvées sur www.ovmonitoring.be