Cette étude de cas s’intéresse à l’entreprise de construction Furnibo. Cette dernière a effectué en 2020 un relevé de mesures en temps réel du béton à l’aide de capteurs sur son chantier pilote à Veurne (Suikerpark) composé de deux tours résidentielles avec 69 appartements. Ce relevé avait pour but de déterminer précisément le moment optimal pour réaliser le décoffrage, tout en garantissant que le matériau ait pu développer ses propriétés de résistance mécaniques. Ce faisant, l’entreprise peut ainsi réduire les coûts de location des étais et des coffrages, et mieux maîtriser son planning.
Dans un secteur tel que celui de la construction, le planning représente un enjeu essentiel qui influence fortement la rentabilité d’un projet. C’est pourquoi l’application du Lean Construction sur les grands chantiers se multiplie ces dernières années, facilitant l’adaptation du planning en fonction des imprévus.
Cependant, le planning dépend aujourd’hui encore d’un certain nombre de processus non maitrisés au sein de la chaîne de production du chantier. Parmi ceux-ci, le décoffrage du béton constitue une étape clé relevant particulièrement des externalités météorologiques (température extérieure, humidité de l’air et vent en premier plan). En effet, une météo défavorable peut rallonger significativement le temps d’attente.
En l’absence de données précises obtenues en temps réel, l’adoption du lean est alors freinée par ce type de processus à l’incertitude importante.
En 2020, Furnibo a effectué un relevé de mesures dans le béton en temps réel, afin d’identifier précisément le moment où le matériau pourrait être décoffré. Pour ce faire, l’entrepreneur a installé une série de capteurs directement dans le béton, et les a connectés à un système de monitoring. Selon l’évolution de la température du béton, ce système peut évaluer sa maturité et déterminer sa résistance. Pour cela, l’outil s’appuie sur un modèle de maturité du béton. Le principe général est le suivant : plus la température est élevée, plus la cinétique de réaction chimique d’hydratation au sein du béton sera rapide, accélérant ainsi sa maturité et les délais requis pour réaliser le décoffrage.
Comment ça marche?
Test des échantillons de béton
La phase préliminaire a consisté à produire le mélange au moyen d’une centrale à béton et de le verser dans des échantillons. Il importe que chacun de ces échantillons soit conservé dans des conditions contrôlées : une température constante de 20 °C et 60 % d’humidité relative. Ensuite, un test de résistance à la compression sur cube est réalisé à intervalle régulier durant les 28 jours de la prise du béton, de façon à connaître précisément l’évolution de la résistance du matériau dans les conditions de laboratoire. Cette étape est nécessaire pour établir la courbe de maturité du mélange de béton – qui sera reproduit dans les exactes mêmes proportions lors de la mise en œuvre in situ.
Cette phase préliminaire nous permet d’identifier la relation directe entre maturité et résistance à la compression du béton. Avec cette relation, en couplant la courbe obtenue en laboratoire et le suivi de l’évolution de la température du béton sur site, il devient alors possible de déterminer l’évolution de la résistance équivalente du béton coulé sur chantier au cours du temps.
Mise en place des capteurs sur chantier
Le système de monitoring doit pouvoir faire le lien entre les mesures de température, relevées à différents endroits dans le béton, et une plateforme d’analyse des données qui renvoie aux utilisateurs le niveau de maturité du béton. Dans le cas de Furnibo, la tâche a été confiée à un sous-traitant, CLEW Systems & Software , qui s’est chargé de l’ensemble de l’opération (location du matériel/logiciel et placement sur chantier).
L’architecture complète utilisée par CLEW Systems & Software est reprise dans le schéma ci-dessous.
- les câbles de mesure doivent être encastrés directement dans le matériau. Ils contiennent les capteurs de mesure de la température (jusqu’à 30 par câble) et assurent la transmission sur de longues distances. Le câble est constitué d’un conduit métallique flexible et étanche IP68. Dans cette configuration, il est intégré dans le béton coulé et est, par conséquent, à usage unique. Toutefois, d’autres systèmes permettent de réutiliser entièrement le capteur (ils nécessitent cependant une mise œuvre plus complexe)
- les boîtiers de transmission placés à proximité des capteurs et reliés à ces derniers par un câble permettent le transfert sans fil des données vers la passerelle via un réseau local sécurisé (protocole LoraWAN, p. ex.). Leur faible consommation électrique garantit une durée de vie de la batterie supérieure à 5 ans. Le boîtier est certifié IP67; il est donc étanche à la poussière et à l’eau
- le boîtier de passerelle (Gateway) constitue le centre de communication sans fil qui centralise les données. Son rôle fait le lien entre les données issues des boîtiers de transmission placés à proximité des capteurs et l’analyse en temps réel réalisée dans le cloud. Sa couverture permet de communiquer sans difficulté avec les boîtiers de transmission placés à 500 mètres de sa position (les chiffres du constructeur annoncent une distance maximale de 2000 mètres). Les données sont envoyées dans le cloud via le réseau cellulaire (2G/3G/4G). Le boîtier est IP65, ce qui lui garantit également une bonne protection à la poussière et à l’eau.
Les capteurs ont été logés dans l’épaisseur du treillis d’armature et raccordés à un boîtier de transmission fixé sur le garde-corps en béton, à une trentaine de centimètres au-dessus de la future dalle. Par mesure de précaution, le boîtier a été recouvert d’un film plastique (malgré la certification IP67).
Enfin, la passerelle a été placée en hauteur – de façon à profiter d’une bonne couverture sur l’ensemble de la zone du chantier. Son installation dans des zones hautes et difficiles d’accès permet également d’éviter un éventuel endommagement ou vol du boîtier.
Monitoring du béton
Une fois l’équipement placé, le béton peut être coulé et recouvrir les capteurs. Le relevé des mesures peut alors commencer. À l’aide d’une application mobile ou via un ordinateur, l’équipe de chantier peut suivre en temps réel l’évolution de la température du béton et de sa résistance mécanique, et être avertie sans délai lorsqu’il faut procéder au décoffrage.
Résultats et gains obtenus
Pour l’équipe de chantier, l’un des avantages clés des capteurs est la possibilité de déterminer la résistance mécanique du béton à tout moment, et de fournir ainsi des données tangibles pour organiser leur travail.
Selon Robbe Verfaille, le site manager de Furnibo, ‘en l’absence d’application de monitoring et de capteurs, la collecte journalière de données aurait été susceptible de faire perdre une heure par jour. Et un tel mode d’acquisition génère des mesures discontinues, de sorte qu’une potentielle anomalie est souvent détectée trop tard – empêchant ainsi d’agir sur le dommage ou le retard.’
De façon plus générale, un tel monitoring permet d’agir sur les risques inhérents à tout chantier, en surveillant, par exemple, la température (pour éviter les dégâts dus au gel) ou l’humidité (pour prévenir les dégâts des eaux). Il offre également un contrôle pour travailler plus vite ou prendre des décisions sur le planning (contrôle de l’humidité en cas de pose d’une finition sèche ou de la température en cas de finition humide, p. ex.).
Le procédé constitue donc une excellente entrée en matière dans le domaine du smart chantier, en permettant aux entrepreneurs de se familiariser avec un réseau de capteurs sans fil et un monitoring via une plateforme cloud.
Aspect financier
La mission complète de CLEW Systems & Software , comprenant la location du matériel et l’accès à l’application, ainsi que l’installation sur chantier, représente un coût d’environ 3000 €/mois HTVA.
De façon générale, le coût d’un capteur peut être estimé entre 50 et 100 euros pièce. Le nombre de capteurs requis dépend de la surface à mesurer, mais également de la précision du maillage que l’on souhaite obtenir. Des surfaces mal exposées (coins peu ventilés, p. ex.) pourraient développer plus lentement leur résistance mécanique.
Étant donné le faible coût des capteurs, le temps de retour sur investissement (payback period) est particulièrement réduit.
L’intérêt pour les entrepreneurs semble donc immédiat. En effet, lorsque l’on cumule les retards, même légers de 1 à 3 jours, sur des dizaines de cycles, ils se traduisent par des semaines de progrès potentiels perdus. Pour peu que le béton se trouve sur le chemin critique du planning, les coûts associés à ces délais atteignent alors des montants très élevés.
Le gain financier d’un tel dispositif n’est évidemment jamais facile à chiffrer, puisque son apport découle surtout des risques et problèmes qu’il a permis d’éviter, et des coûts potentiels associés.
Si le décoffrage se trouve sur le chemin critique du planning, et que le dispositif permet de décoffrer un ou plusieurs jours à l’avance, le gain peut facilement se compter en centaines ou milliers d’euros selon la taille du projet.
Pour aller plus loin : monitoring prédictif du séchage du béton
Être averti le jour où l’on peut décoffrer le béton est une chose, mais l’intérêt de récolter des données peut être encore supérieur.
En exploitant les données recueillies, il devient aujourd’hui possible de prédire plus précisément, plusieurs jours à l’avance, l’évolution probable du séchage du béton. En effet, ce dernier reste globalement fort dépendant des paramètres de température extérieure – et dans une moindre mesure de l’humidité de l’air ; deux variables qu’il est possible de connaître plus ou moins à l’avance à l’aide des prévisions météorologiques. Ainsi, des modèles prédictifs commencent à se développer, en combinant des données météorologiques locales, une base de données de mesures historiques de durcissement du béton et des mesures en temps réel grâce aux capteurs IoT placés dans la dalle monitorée. En exploitant des techniques prédictives à l’aide de machine learning (une branche du domaine de l’intelligence artificielle), il devient alors possible de prédire plus précisément le moment où le béton atteindra sa résistance mécanique, avec des marges d’erreur tout à fait tolérables pour une utilisation réelle.
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