À retenir
- Le croisement avec le Waaslandtunnel était une zone qui a donné pas mal de fil à retordre aux équipes impliquées dans les travaux de rénovation des quais de l’Escaut à Anvers.
- Afin de détecter à un stade précoce un éventuel impact négatif des travaux sur le tunnel en contrebas, ce dernier a fait l’objet d’un monitoring approfondi, qui a commencé un an avant le début des travaux.
- La combinaison des mesures et des techniques de machine learning a permis de détecter avec une grande précision les anomalies en matière de sensibilité aux déformations du tunnel.
- Grâce au monitoring, les automobilistes ont pu emprunter le Waaslandtunnel en toute sécurité pendant l’exécution des travaux.
Une analyse minutieuse des conséquences des travaux de rénovation des murs des quais
Cela fait un bon moment déjà que les quais historiques de l’Escaut à Anvers présentent des problèmes de stabilité. Afin d’éviter qu’une catastrophe puisse un jour s’y produire, des travaux de rénovation et de modernisation de grande ampleur des murs de ces quais sont effectués depuis 2014. La stabilisation de ces murs au-dessus du Waaslandtunnel a été une étape des plus délicates de ce plan directeur : afin de vérifier si ces travaux ne risquaient pas d’exercer une influence néfaste sur ces infrastructures, une campagne de monitoring intensive a été réalisée.
Les murs des quais qui bordent l’Escaut à Anvers n’ont jamais été un exemple de réussite en matière d’infrastructures. Peu après leur édification (qui remonte à la fin du 19e siècle), des problèmes de stabilité sont apparus, qui n’ont jamais pu être totalement résolus. « Le gros souci, c’est le sous-sol en argile de Boom, qui a été surconsolidé », estime Koen Segher, ingénieur de projet à la Vlaamse Waterweg. « Dès que cette couche de sol reçoit un peu d’espace ou est déchargée, elle a systématiquement tendance à s’étendre. Par ailleurs, le niveau des eaux souterraines est un élément qui n’a pas été suffisamment pris en compte.
En conséquence, les murs des quais ne sont pas assez armés face aux fluctuations des niveaux d’eau induites par les marées. En outre, sous l’effet du réchauffement climatique et de l’approfondissement de l’Escaut, la différence entre marée haute et marée basse est de plus en plus grande. Pour pouvoir garantir une protection durable, il est nécessaire de stabiliser les murs des quais et de les rénover partiellement, et/ou de les rehausser. Ce projet a été traduit en un plan directeur. Aujourd’hui, la stabilisation des murs des quais a été réalisée pour plus de la moitié. »
Qui cherche (une solution), trouve…
Des travaux étaient nécessaires sur pas moins de sept kilomètres de rives de l’Escaut. Le trajet a été divisé en différentes zones, chacune avec ses propres défis. Pour chaque section, il a fallu analyser quelle était la méthode de stabilisation la plus indiquée. « Selon nos calculs, décharger les murs des quais constituait, dans la plupart des cas, la meilleure solution », déclare Wim Salens, ingénieur de projet pour le bureau d’études SBE. « Côté terre, nous avons construit une nouvelle paroi moulée, que nous avons ancrée avec des tirants d’ancrage. L’espace entre les murs des quais et la paroi moulée a été creusé jusqu’à la laisse de basse mer de l’Escaut et recouvert d’une dalle. Des trous ont été forés dans les anciens murs des quais de sorte que l’eau puisse venir occuper ou se retirer de cet espace creux au gré des marées. Cette solution permet de neutraliser la pression de l’eau sur les anciens murs des quais, ce qui se traduit, logiquement, par un gain de stabilité. Par ailleurs, une berme de soutènement en empierrement a été placée au pied des anciens murs des quais. »
… sauf pour une section au-dessus du tunnel
Cette solution s’est révélée particulièrement intéressante et utile, sauf pour la zone comprise entre le Loodswezen et la Steenplein, qui surplombe le Waaslandtunnel. « Les tirants d’ancrage obliques introduisent une grande force verticale dans la paroi moulée qui, à son tour, générerait un important chargement vertical sur le toit du tunnel », explique Wim Salens. « C’est pourquoi nous avons proposé de travailler à cet endroit avec un ancrage horizontal de la paroi moulée, en utilisant des tirants reliés à des barrettes réalisées par parois moulées. Cette solution a permis de résoudre le problème de force verticale dans la paroi moulée. L’Agentschap voor Wegen en Verkeer a toutefois exigé des preuves que cette solution n’aurait aucun impact négatif sur le tunnel. Un monitoring intensif s’imposait dès lors comme une évidence, avant, pendant et après les travaux.
Solution complète en matière de monitoring
SBE a décidé d’élaborer son propre plan d’approche en matière de monitoring. « Cela n’a pas été une sinécure, car le comportement d’un tunnel est difficile à définir », explique Wim Salens. « Beaucoup de facteurs sont en effet susceptibles de provoquer des forces et des déformations. En fin de compte, nous nous sommes basés sur plusieurs études et sur une analyse du tunnel ferroviaire de Liefkenshoek pour élaborer une solution complète en matière de monitoring. Afin d’avoir une vue globale sur le comportement de ce tunnel, nous avons opté pour une combinaison de jauges de contrainte et de capteurs de vibrations, de distances et de températures. Nous voulions au minimum pouvoir disposer d’une analyse détaillée de l’influence de la température, des marées, du trafic à l’intérieur du tunnel et des travaux au niveau des murs des quais. Le monitoring devait se focaliser sur la zone renforcée du tunnel, où des barres d’ancrage dans le toit surplombant les bandes de circulation permettent de supporter des chargements supplémentaires provenant des murs des quais supérieurs. »
De la théorie à la pratique
Les exigences du maître d’ouvrage ont été consignées dans un appel d’offres, et le marché a finalement été attribué au département Mécanique de construction (section Génie civil) de la KU Leuven. « Nous sommes partis du plan d’approche de SBE », relate Kristof Maes, chercheur postdoctoral au sein du département Mécanique de construction de la KU Leuven. « Notre mission consistait à choisir les appareils adéquats dans l’optique d’un monitoring précis et rigoureux. Pour les mesures de l’allongement du béton et des barres d’ancrage, nous avons utilisé des jauges de contrainte résistives classiques. L’ovalisation du tunnel a été mesurée à l’aide de systèmes de télémétrie précis basés sur des lasers. La température du béton et de l’air a été mesurée au moyen de thermocouples. Enfin, nous avons utilisé des accéléromètres pour mesurer les vibrations de la dalle de toiture au-dessus des bandes de circulation du tunnel. Afin d’éviter que le trafic soit perturbé lors de l’installation des capteurs, nous avons décidé d’installer ces derniers dans les cheminées d’aération assurant l’arrivée d’air propre et l’évacuation de l’air pollué. Ces cheminées se trouvent en effet, respectivement, sous la chaussée et au-dessus du toit du tunnel. Nous avons installé le dispositif de lecture dans le bâtiment d’aération sur la rive droite de l’Escaut, afin qu’il soit accessible à tout moment dans l’optique d’une éventuelle intervention. »
Identification de systèmes autodidactes
Le monitoring a été entamé un an avant le début des travaux, ce qui a coïncidé immédiatement avec le lancement de l’acquisition des données. D’énormément de données. La KU Leuven a utilisé toutes les données collectées afin de développer un modèle capable de prédire le comportement du tunnel sous un régime normal (c’est-à-dire en période où il n’y a pas de travaux). L’université a pour ce faire utilisé des techniques dites de « machine learning ». « Pour simplifier, cette application compare constamment les nouvelles données mesurées avec celles qui ont été collectées auparavant », explique le Professeur Stijn François du département Mécanique de construction de la KU Leuven. « Le logiciel établit des liens entre les différentes données mesurées. Comme c’est traditionnellement le cas, des alertes sont générées lorsque certains seuils en matière de déformations ou de déplacements sont dépassés. Le logiciel permet, en outre, de vérifier avec un degré d’exactitude élevé si le tunnel se comporte différemment ou non en cas de modification du chargement qu’il doit supporter ou de problème structurel. Le cas échéant, des simulations complémentaires à l’aide de modèles ont été réalisées afin de générer une photographie détaillée du comportement du tunnel. Nous avons ainsi appris, par exemple, qu’outre la température en général et l’action des marées, l’inertie thermique est un autre facteur qui joue un rôle important. »
Essai de chargement des murs des quais
Décision a été prise, finalement, de ne pas appliquer de solution de stabilisation des murs des quais dans la zone en surplomb du Waaslandtunnel. « Nous nous sommes rendu compte que des paramètres locaux ne permettaient pas de placer l’ancrage que nous avions prévu », explique Wim Salens. « À la place, nous avons effectué un essai de chargement sur les murs des quais afin de vérifier sa stabilité sous le chargement envisagé. Pendant une période de deux semaines, nous avons progressivement amené un chargement de trois tonnes par mètre carré et nous avons contrôlé les mouvements des murs au moyen d’inclinomètres et de mesures topographiques. »
« Dans le même temps, la KU Leuven a contrôlé minutieusement l’impact de cet essai de chargement sur le tunnel », poursuit Kristof Maes. « Un exercice très intéressant dans la mesure où il nous a permis de voir comment l’influence de l’essai de chargement pouvait être mesurée avec autant de précision. Le monitoring s’est par conséquent révélé être un gendarme des plus rigoureux. Grâce au système d’alertes, un problème de surchargement serait détecté immédiatement. Et si, en fin de compte, aucun dépassement inquiétant n’a été constaté, il n’en demeure pas moins que cette approche n’était pas du luxe étant donné que le Waaslandtunnel est resté ouvert à la circulation pendant toute la période des travaux. »
Une solution win-win pour toutes les parties
Deux mois après les travaux, les capteurs ont été retirés. « Il serait bien entendu intéressant, dans une perspective de recherche, de continuer d’analyser le comportement du tunnel », explique Stijn François. « Mais cela n’aurait guère de plus-value pour la Vlaamse Waterweg, qui a financé le monitoring. Le programme de monitoring avait en outre été élaboré pour la durée des travaux. Si l’objectif avait été de mesurer des paramètres pendant toute la durée de vie de la construction, nous aurions probablement opté pour d’autres capteurs et pour une fixation différente. » « Ce projet a été intéressant pour toutes les parties concernées », poursuit Wim Salens. « Pour nous, le monitoring s’est révélé un moyen hautement fiable de contrôler des infrastructures critiques difficiles à modéliser. » « L’expérience a été très positive pour la Vlaamse Waterweg également », embraie Koen Segher. « Nous avons été très impressionnés par cette campagne de mesures et par les techniques d’analyse qui ont été utilisées dans ce cadre. Il est clair qu’une telle solution permet de contrôler tous les paramètres avec une extrême minutie et de détecter les moindres anomalies comportementales. Il est fort possible, dès lors, que nous utilisions des techniques de ce genre pour d’autres projets dans le futur. »
Pour en savoir plus : Maes, K., Salens, W., Feremans, G., Segher, K., Francois, S. (2021). Anomaly detection in long-term tunnel deformation monitoring. ENGINEERING STRUCTURES, 250, Art.No. ARTN 113383. doi: 10.1016/j.engstruct.2021.113383
De plus amples informations concernant le monitoring sur base de la technique de la fibre optique peuvent être trouvées sur www.ovmonitoring.be