À retenir
- Grâce à un système de monitoring basé sur des câbles de mesure fibre optique, il est possible d’analyser en profondeur les déformations que subissent les remblais renforcés.
- Dans le futur, les mesures permettront d’optimiser les projets de structures de ce genre.
- La sensibilité aux déformations de la géogrille fera elle aussi l’objet d’un suivi à long terme.
Focus sur les géogrilles dans le cadre du projet Oosterweel
Les géosynthétiques s’avèrent être un moyen économique et efficace de renforcer des remblais. Tout n’est malheureusement pas encore clair en ce qui concerne les paramètres de conception, de sorte que cette solution est encore trop peu appliquée en Belgique. À cet égard, les travaux de la liaison Oosterweel à Anvers font figure d’exception qui confirme la règle. Lantis, le maître d’ouvrage, n’entend toutefois rien laisser au hasard : pour preuve, il a demandé au CSTC d’examiner via un monitoring les déformations des géosynthétiques pour les comparer aux résultats des calculs du bureau d’étude, et ce à court comme à long terme.
Linkeroever connait depuis quelque temps déjà à une certaine agitation. Ce quartier anversois joue en effet un rôle essentiel dans la réalisation de la fameuse liaison Oosterweel. En tant que partenaire du consortium Rinkoniên, Stadsbader construira dans ce quartier plusieurs nouveaux ponts, tunnels et routes au cours des prochaines années. Mais avant cela, il faudra aménager un grand nombre de remblais, dont plusieurs seront renforcés de géogrilles.
« Un choix logique dès lors que de telles structures de sol peuvent revenir de 30 à 50 % moins chères que les solutions traditionnelles axées sur le béton », explique Nicolas Denies, chef de Laboratoire adjoint au CSTC. « L’empreinte écologique est de surcroît bien moindre étant donné qu’on n’utilise ni béton, ni acier, et qu’il n’est pas non plus nécessaire d’avoir recours à de grandes grues ou machines. La technique reste pourtant peu utilisée dans notre pays, faute d’un cadre clair qui permettrait de dimensionner ce type de structures. Nous devons utiliser des normes ou directives en vigueur à l’étranger et qui ne sont pas toujours neutres et/ou utilisables en parallèle, ce qui donne lieu à des discussions difficiles entre maîtres d’ouvrage, bureaux d’étude et entrepreneurs. Qui plus est, on ne sait encore que peu de choses à l’échelle mondiale quant au comportement à long terme de pareilles armatures dans des conditions réelles d’utilisation. Tous ces éléments constituent un frein important à la percée de la technique, alors que l’étranger nous fournit des exemples qu’elle pourrait un jour devenir la norme. »
Intéressant pour tout le secteur de la construction
Lantis a trouvé les avantages suffisamment intéressants pour intégrer cette technique de renforcement dans le cahier des charges pour certains remblais. Stadsbader est allé un pas plus loin et a proposé d’utiliser des géosynthétiques sur d’autres chantiers du dossier également. « Nous croyons fortement dans les possibilités et les atouts de la géogrille comme armature », explique Nathan Lauwers, préparateur des projets de remblais renforcés chez Stadsbader. « Nous aussi, nous allons souvent dans le mur à cause de l’absence de tout cadre normatif. Comme le maître d’ouvrage était luimême demandeur dans ce dossier, nous avons vu une opportunité d’appliquer cette technique à grande échelle, et avons été d’autant plus encouragés à le faire que Lantis avait mandaté le CSTC pour analyser le comportement des géogrilles à long terme. Une telle campagne de monitoring est pour nous d’une valeur inestimable pour optimiser les futurs projets de structures de ce genre. » Nicolas Denies : « Le CSTC trouvait lui aussi que c’était une mission des plus intéressantes, en raison principalement du fait qu’elle bénéficiera à tout le secteur de la construction. Nous pourrons en effet en utiliser les résultats dans le cadre du projet fédéral de recherche que nous menons depuis 2018 sur ce sujet avec le soutien SPF Économie et le NBN. »
Un sacré défi
En toute logique, c’est le chantier le plus spectaculaire qui a été retenu pour la campagne de monitoring, à savoir le remblai renforcé G03 Linkeroever – Zone Zwijndrecht (entre la E17 et la station d’épuration d’Aquafin). « Une rampe d’accès et une culée y seront aménagées en direction du viaduc qui conduira les automobilistes roulant sur la E17 en direction d’Anvers vers le nouveau Scheldetunnel ou la E34. Le remblai renforcé remplit donc une fonction double, ce qui constitue en soi déjà une donnée particulièrement intéressante. En outre, on parle tout de même d’un remblai renforcé de 16 mètres, le plus haut de ce projet. Ce remblai se compose de 29 couches de sable, renforcées de 18 géogrilles. Nous avons opté pour la solution de l’entreprise italienne Maccaferri, qui se compose de gabions métalliques combinées à des géogrilles en polyester enveloppées de polyéthylène », détaille Nathan Lauwers.
Un monitoring fibre optique
Pour des raisons de rentabilité, décision a été prise de monitorer cinq géogrilles, au moyen de câbles de mesure fibre optique fixés sur les géogrilles en question. « L’opération a été assez compliquée, car nous devions installer ces câbles extrêmement fins et fragiles sur le chantier, dans des conditions météo parfois délicates », explique Nicolas Denies. « Dans ce cas précis, notre objectif consiste d’ailleurs à étudier les limites techniques de pareils câbles de mesure. C’est pourquoi nous avons prévu des back-ups en suffisance. Pour chaque géogrille monitorée, nous avons installé plusieurs exemplaires, mais aussi plusieurs types de fibres optiques.
Cela nous permet d’effectuer une comparaison de ces produits et d’en tester la qualité. » Les connaissances techniques acquises (comme le type de capteur le plus adéquat, le mode de fixation…) seront en outre utilisées dans le cadre du projet COOCK ‘Suivi de structures et systèmes avec fibre optique’ subventionné par l’Agence flamande pour l’innovation et l’entrepreneuriat (VLAIO) et pourront déboucher à terme sur le développement de produits prêts à l’emploi solides.
Une approche de mesures discontinues
Le principal objectif de la campagne de monitoring consiste à mesurer la déformation de la géogrille à partir de la mise en place d’une couche de sol sur celle-ci. « En théorie, les capteurs peuvent être lus en temps réel, mais Lantis a opté pour une approche discontinue », explique Nicolas Denies. « Durant la construction du remblai renforcé – de juin à décembre 2021 –, les données ont été mesurées en moyenne deux fois par mois. Nous sommes ensuite passés à une fréquence mensuelle. Étant donné qu’en théorie, le tassement est en grande partie stabilisé après six mois, nous ne passerons ensuite plus que deux fois par an pour prendre les relevés. Nous avons l’intention de continuer à suivre l’évolution de la situation pour avoir une idée précise de la déformation des géogrilles à plus long terme. »
Étude comparative
Lantis et Stadsbader entendent superviser rigoureusement le tassement. « Pour ce genre de projet, nous prévoyons d’office des mesures topographiques », explique Nathan Lauwers. « Ces mesures sont effectuées périodiquement par un géomètre qui mesure les déplacements de la paroi via de petits miroirs fixés côté extérieur du remblai. Par ailleurs, la Division Géotechnique du gouvernement flamand a également installé deux tubes inclinométriques dans le massif. Ce sont des tubes horizontaux dans lesquels on introduit à intervalles réguliers un inclinomètre afin d’analyser le tassement des tubes, et donc du remblai renforcé. Bref, le comportement du remblai renforcé est suivi de trois manières différentes. »
Des perspectives d’optimisations grâce aux données
Les premiers résultats sont positifs et rassurants. En effet, la déformation mesurée correspond aux calculs du bureau d’études Arcadis. « Les données permettront à l’entrepreneur et au bureau d’études d’avoir de nouvelles idées pour, par exemple, optimiser ces structures », explique Nicolas Denies. « Peut-être une géogrille avec une rigidité ou résistance à la traction moindre pourrait- elle être appliquée sur d’autres chantiers ? » « Nous pourrons de surcroît étudier le fluage », poursuit Nathan Lauwers. « Ce terme désigne le phénomène par lequel la déformation augmente lentement au fil des ans. Les caractéristiques de fluage sont typiquement déterminées en laboratoire au moyen d’essais accélérés. Grâce à ce projet, nous pourrons comparer ces résultats de laboratoire avec les écarts observés dans la réalité. »
Autres alternatives en vue ?
Les ambitions des parties concernées ne s’arrêtent toutefois pas là, puisque ces dernières projettent d’examiner les possibilités d’utiliser des terres cohésives. « Aujourd’hui, nous réalisons les remblais renforcés avec du gravier ou du sable », explique Nathan Lauwers. « Il serait toutefois plus économique, rapide et écologique d’utiliser sur chaque chantier toute (ou une partie de) la terre qui y est présente. » « La circularité constitue une autre piste de réflexion », embraie Nicolas Denies. « On peut se demander s’il ne serait pas possible d’utiliser des granulés recyclés de l’industrie ou des boues de dragage (stabilisées au besoin avec du ciment ou de la chaux). Il y a beaucoup de choses que nous ignorons encore à propos des remblais renforcés, mais il n’en demeure pas moins que c’est une technique très prometteuse sur laquelle on fonde beaucoup d’espoirs aux quatre coins du monde. Le dimensionnement de telles structures géotechniques a ainsi été un thème majeur des travaux de révision des Eurocodes. Malheureusement, il faudra patienter encore quelques années avant d’en connaître le résultat, raison pour laquelle ce projet de monitoring est si important. Il nous permet de d’ores et déjà démontrer noir sur blanc au secteur tout le potentiel que recèlent les géogrilles. Mieux les entrepreneurs connaîtront cette nouvelle technique, moins ils dépendront des fournisseurs et plus ils auront d’atouts dans leur jeu afin de convaincre le maître d’ouvrage. »
De plus amples informations concernant le monitoring sur base de la technique de la fibre optique peuvent être trouvées sur www.ovmonitoring.be